Les Saintiers que l’on appelait aussi, dans le langage populaire « CLOCHETIERS » ou « CLOCHETIAUX », sont, ou plutôt devrais-je dire, furent des fondeurs de cloches. En effet, ils ne sont plus que trois, à ce jour en France pour plus d’un millier au siècle dernier. Rien que dans le Bassigny, jadis province mi-Lorraine, mi-Champagne et maintenant partagée‚ entre la Haute-Marne et les Vosges, on en comptait plusieurs centaines en 1825 et uniquement dans un rayon de vingt kilomètres. Dans le village de Huilliécourt habitaient 87 fondeurs, 69 à Levécourt, 63 à Brevannes, à Doncourt et à Damblain seulement 42, Etc. ...
N'oublions pas que, pendant des siècles, ces fondeurs coulaient aussi bien des cloches que des canons. En effet, ces deux objets sont issus de matériaux similaires : de bronze (78% de cuivre rouge et de 22% d'étain) ; moules et coulées sont réalisés d'une manière semblable. Leurs "signatures" professionnelles, y faisaient fréquemment référence, telle la marque de Louis-Francois REGNAULT et Clément HABERT de 1808.
Les héritiers de cette activité se trouvent aux quatre coins de France.
La fonderie
PACCARD,
créée en 1796, à Quintal, en Haute-Savoie, s'est récemment déplacée à Sévrier prés d’Annecy-le-Vieux, où elle était implantée depuis plus d’un siècle.
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CORNILLE-HAVARD,
installée dans la Manche â Villedieu-les-Poêles, existe depuis 1903. Successeur de son beau-père, Léon CORNILLE accola son nom à celui de l’entreprise créée en 1837 par Paul HAVARD, le grand-père de sa femme. Adolphe HAVARD assura la continuité de son père en 1865. Déjà en 1587, au moins six fondeurs de cloches étaient originaires de Villedieu-les-Poêles, qui, comme le Bassigny, fut un important foyer de fondeurs. Site.
La famille
BOLLÉE,
qui a débuté son activité en 1715 à Brevannes dans le Bassigny, a exercé ce métier jusqu'en 2012 à Saint-Jean de Braye prés d’Orléans. Dans le but de pérenniser l’entreprise familiale, Dominique, né en 1939, 8ème et dernière génération de saintier, fonde la SAS Bollée composée d'Artisans Techniciens Campanaires présents sur tout le territoire français. Alexandre GOUGEON en assure la direction commerciale, et le fondeur André VOEGELÉ gère la fabrication et la direction technique de l'entreprise.
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André VOEGELÉ, 4ème génération dans les cloches, a son activité à Strasbourg, lieu où s'installa Auguste en 1908.
Cette activité‚ presque régionale, s’explique par les relations très « courtoises » que nous avions avec nos proches voisins de l’Est, qui n’hésitaient pas à nous rendre visite environ toutes les trente années. En plus de la destruction des bâtiments abritant les cloches, celles ci ont l’inconvénient d’être du même alliage que les canons et, en ces périodes de troubles, quantité d’entre elles se transformèrent en armes de guerre, pour éventuellement renaître sous leurs formes premières une fois le calme revenu.
Deux origines du terme Saintier sont généralement avancées, la première qui vient à l’esprit est le rapport direct qu’il existe entre la cloche et la religion, tant par ses ornements (croix, saints, inscriptions), que par son utilisation (angélus, appels aux messes, aux vêpres). Mais il est plus vraisemblable que ce mot vienne du mot latin SAIN (SIGNUM, Signal) qui s’appliquait à la cloche vers le VII° siècle.
Les campanes ont toujours été symbole de liberté, qu’il s’agisse d’appeler la population à la défendre ou pour marquer sa joie une fois retrouvée. Lorsque Paris fut libéré, en août 1944, c’est une explosion de sons qui inonda la capitale, de même lorsque l’Armistice a été signé, la joie des habitants fut retransmise par les clochers. C’est d’ailleurs à cause de ce symbole qu’elles servirent de butin de guerre jusqu’au XIX° siècle ; on en retrouve trace dans des écrits remontant jusqu’au Moyen Age :
« Au Seigneur appartiennent la cloche qui sonne, l’eau qui coule, le poisson dans l’onde, le gibier dans la plaine, l’oiseau dans la vaste forêt ».
Bénédiction d'une cloche Ferdinand FARNIER Cloche châtiée de Bourg d’OUGLITCH
Les cloches furent longtemps considérées comme des personnes, elles portent des prénoms‚ sont
baptisées
et, jusqu’à la Révolution de 1789, trouvaient même leur place dans l’état civil au même titre que toute naissance.
Les termes concernant sa "morphologie" sont aussi très éloquents. On trouve la couronne, le cerveau, la robe, la panse, le bras, la bouche et même la langue.... Sa personnalisation va si loin que certaines furent châtiées:
ainsi, le gros bourdon de GAND, ROELAND, fut jugé par CHARLES QUINT pour « avoir participé très activement avec sa langue » à l’insurrection Flamande de 1540. Pour avoir sonné le tocsin le jour de la mort du Tsarévitch Bâtard DIMITRY en 1591 (le plus jeune fils d'Ivan le Terrible), la cloche de l’église de la Transfiguration de Bourg d’OUGLITCH fut décrochée‚ flagellée‚ et expédiée en Sibérie après avoir eu "une oreille coupée". Elle y resta "en exil" pendant 300 ans.
Les premières cloches sont sans doute apparues à l’ère du feu, lorsque, grâce à ce dernier, nos aïeux furent capables de durcir l’argile, créant ainsi un vase qui devenait sonore lorsqu’on le frappait. Était-ce le début de l’alchimie ? L’homme avait déjà réuni les quatre éléments.
Les Dames de Bronze firent leurs apparitions en Chine, sous la dynastie des CHUN vers 2.250 ans avant J.C.. Les cloches actuelles, de formes gothiques, naquirent au XIV-XV° siècle. Elles succédèrent à celles en forme de "pain de sucre" du XII° siècle, d’un son beaucoup plus harmonieux que les précédentes en forme de ruches, d’une sonorité‚ très dure, presque démoniaque.
Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle, les "SEMPOLLETS", ainsi se désignaient les fondeurs dans leur argot, qui, soit dit en passant, était beaucoup plus riche en vocabulaire concernant la bonne chair, la boisson et les sobriquets du clergé que pour leur travail, fondaient sur le lieu même de livraison. Ci-contre : le passeport du saintier BARRET du 20 avril 1854, de Brevannes.
Les Saintiers d’alors se déplaçaient à pied, ou éventuellement à cheval. D’après Ferdinand FARNIER, avant dernier Saintier du Bassigny, ils « quittaient leurs foyers le mercredi des Cendres et rentraient vers la Toussaint » (environ 9 mois plus tard, peut-être le temps d’une naissance, au moins).
Planches d'un ouvrage de 1726 de Philippe de CAVILLIER, de CARREPUIS
Les outils du Saintier, Traçage puis découpage de cette Planches à trousser, Échelle de 4 pieds, prêtes pour la coulée
Ils emportaient toujours avec eux les quelques outils indispensables à la confection de leur art : un compas, une petite règle appelée "BROCHETTE", quelques matrices pour la décoration et naturellement leur « bible ». Ce grimoire contait tous leurs "secrets", les annotations, les renseignements qu’avait acquis le Maître Fondeur au cours de sa vie, et qu’il léguait à son successeur (généralement son fils ou son gendre) pour qu’il le complète, lorsqu’il rendait son tablier. En consultant ces ouvrages, nous constatons que la fabrication n’a guère évoluée depuis le Moyen-Âge. Les mystères de calcul, pour définir les tonalités en fonction des poids et tailles, étaient déjà percés.